Comme une potion magique … C’est ainsi que Sylvie Uderzo, fille du dessinateur de génie Albert, a nommé l’exposition qui lui rend hommage. Elle-même commissaire de l’exposition, Sylvie Uderzo a accepté de se confier sur son père, sur leurs relations et sur la potion magique qui a fait de son père, et d’elle, des bourreaux de travail, généreux et passionnés.
C’est à la réception du Musée Maillol, où se tient l’exposition Uderzo, Comme une potion magique, que nous avons rendez-vous avec Sylvie Uderzo. On nous signale qu’elle est en train de se garer et que l’on peut patienter dans la librairie. Là, c’est le monde du dessinateur qui s’étale sous nos yeux : tous les albums d’Astérix y sont réunis, entre autres Tanguy et Laverdure et Oumpah-Pah.
Quelques minutes plus tard, c’est une femme enjouée qui débarque, et discute avec la libraire. “Madame Uderzo ?”.
Sous sa casquette étoilée, Sylvie Uderzo semble un poil stressée quand nous lui annonçons que nous allons probablement parler de famille, de transmission, et de sa relation avec son père. Pourtant, très vite, la confiance prend le pas, et cette femme fascinée par son papa se dévoile. Aussi dense que le travail d’Albert Uderzo, et aussi fluide que le caractère de sa fille, notre rencontre balaye la vie de l’artiste, sa vie, sa famille, et bien-sûr son rôle de Grand-Père et Père. Une rencontre suspendue et vivifiante, à l’image de la potion d’Astérix.
Pouvez-vous nous présenter l’exposition et votre volonté derrière cette exposition ?
Pouvez-vous nous présenter l’exposition et votre volonté derrière cette
exposition ?
Avec ma mère, nous souhaitions rendre hommage à mon père. Il est parti en mars 2020, en plein premier confinement : évidemment les hommages étaient impossibles. Nous avons reçu beaucoup de courriers charmants de lecteurs, d’admirateurs, qui réclamaient de ne pas laisser “Monsieur Uderzo” partir dans l’anonymat. Mais vu les circonstances, nous ne savions pas comment nous y prendre.
Et puis, nous avons pensé à une exposition. Je voulais présenter tout son travail, et surtout l’avant Astérix : peu de personnes connaissent les vrais débuts d’Albert Uderzo. Surtout les jeunes générations, qui ne lisent qu’Astérix.
Je souhaitais que l’on puisse comprendre qui était mon père, et combien le dessin a été une vocation de la première heure pour lui. Je voulais que l’on voit qu’il était extrêmement doué, et qu’il y avait un artiste et surtout un homme derrière Astérix.
Votre père travaillait beaucoup. Est-ce une valeur qu’il vous a transmise, à vous ?
Votre père travaillait beaucoup. Est-ce une valeur qu’il vous a transmise,
à vous ?
C’était un travailleur forcené, en effet. C’est ce que j’ai voulu montrer à travers cette exposition : la détermination et la volonté de ce jeune homme. Il voulait absolument faire du dessin humoristique, mais il a su s’adapter à tous les styles, travailler sans relâche, avant de toucher les étoiles avec Astérix.
Il m’a fait comprendre que, dans la vie, il fallait travailler. Mon père venait d’une famille modeste d’immigrés italiens. Moi j’ai eu beaucoup plus de chance, grâce à la carrière de mon père. Mais ce n’est pas pour ça que je me suis reposée sur mes lauriers, et j’ai commencé à travailler très jeune aussi, à 21 ans.
Quel père était-il ?
C’était un papa génial.
Il m’a inculqué des valeurs très profondes : la générosité, la simplicité, l’humilité. Malgré l’évolution d’Astérix, mon père est resté le même homme qu’au début du succès. Il a gardé les pieds sur terre, du début à la fin. Lui, ce qu’il aimait, c’était être en famille, à la campagne, proche de la nature. Et puis c’était un homme très bon, qui n’avait pas d’idées arrêtées ou toutes faites. Il me connaissait par cœur. C’est plus mon papa qu’un artiste, pour moi. Il a donc fallu que, pour l’exposition, je me détache de l’affect, sinon, c’était trop dur, avec sa disparition. Je ne voulais pas avoir un regard complètement à côté de la plaque.
Il a fallu que je me mette à la place des lecteurs, c’était un sacré travail !
Cela vous a-t-il permis de vous mettre à distance ?
Oui, et cela m’a même permis de faire mon deuil. C’est assez incroyable. Je m’en suis rendue compte il y a peu de temps. Les débuts de l’organisation de l’exposition étaient durs sur un plan émotionnel. Et puis très vite, c’était tellement génial, et l’équipe était tellement chouette … Cela m’a vraiment aidée. Parce qu’en fait, ici, il est vivant, pour moi.
Quelle valeur ressortent dans ses œuvres, qui le représentent lui ?
La générosité. Il n’a jamais compté. Quand il avait un objectif, il s’en donnait vraiment les moyens. Il ne comptait pas les heures, et il donnait jusqu’à ce qu’il soit content de son travail. Il se faisait d’abord plaisir, avant d’essayer de faire plaisir aux gens qui pouvaient voir ses dessins. Et même avec René Goscinny, c’était vraiment quelque chose qui était important. Quand ils commençaient à travailler à un futur album, René venait avec une idée, chez mon père, et ils s’enfermaient dans le bureau et on entendait des éclats de rires. Parce qu’ils étaient convaincus qu’avant tout, il fallait qu’ils s’amusent, avant de pouvoir amuser les autres.
Vous lisiez ce que faisait votre père ? Que préfériez-vous ?
Oh oui ! J’aimais beaucoup Oumpah-pah. J’ai dû le découvrir pratiquement en même temps qu’Astérix. Je m’y suis mise parce que mon cousin, qui venait à la maison, préférait lire des Astérix et des Oumpah-pah, que de jouer avec moi.
Dans Oumpah-pah, vous retrouvez pratiquement tout ce qui a fait Astérix !
Et puis mon père recevait tous les illustrés : Tintin, Spirou, Pilotes… Donc je lisais beaucoup de BD.
Vos enfants ont-ils, eux aussi, lu les œuvres de leur Grand-Père ?
Oui, bien sûr ! Mon fils aîné, qui a 32 ans aujourd’hui, a tellement lu Tanguy et Laverdure qu’il est devenu pilote de ligne !
Petit, il voulait être pilote de chasse. Il a toujours été fou d’aviation. Mais la lecture de Tanguy et Laverdure a certainement confirmé sa vocation. Je pense que c’est le cas de beaucoup de garçons à cette époque, d’ailleurs.
Quel Grand-Père était votre père pour vos enfants ?
Gaga. Totalement gaga. C’était un Grand-Père génial. Je crois qu’il leur aurait tout passé. Heureusement que je veillais ! Tout ce qu’il m’avait inculqué, les bonnes manières, etc… Tout a sauté avec ses Petits-Enfants ! Tout était possible. Il leur manque beaucoup, beaucoup. Ils ont d’ailleurs découvert beaucoup de choses sur lui grâce à cette exposition – notamment ses dessins de jeunesse. Ils ont été subjugués.
Votre père s’inspirait-il de sa propre vie familiale dans son œuvre ?
Pas toujours, parce qu’il était tenu aux scripts et aux scénarios de René Goscinny, ils avaient donc un œil sociétal pour raconter leurs histoires.
Mais Falbala, c’est ma mère, pour mon père. Parce que c’est une très jolie femme, qui a le nez en trompette, des yeux extraordinaires…
Vous avez en revanche déclaré qu’Astérix était votre frère de papier ?
Oui, déjà parce que c’est l’enfant de mon père. Je suis fille unique, donc je l’accepte comme frère de papier, avec beaucoup de fierté.
Mais j’ai deux frères : il ne faut pas oublier Obélix !
Lequel des deux préférez-vous ?
Ils n’ont rien à voir, l’un et l’autre… Rien à voir ! Astérix est malin, relativement sérieux – même s’il sait s’amuser. Obélix est bon enfant, fait des bêtises, tombe amoureux, aime la bonne bouffe… On va vers celui qui, bizarrement d’ailleurs, a un peu plus de défauts plutôt que vers celui qui est presque parfait.
Alors, peut-être pour sa rondeur, Obélix.
Mon père aussi aimait les deux, mais il avait un petit faible pour Obélix.
En fait, René voulait un personnage petit et malin.
Papa a donc créé Astérix en un quart d’heure – ils étaient très en retard pour la parution du premier numéro de Pilote. Et c’est papa qui lui a proposé un acolyte, comme il l’imaginait : grand et fort. René a accepté et c’est comme ça qu’est né Obélix. Pourtant, il ne devait pas apparaître dans les albums suivants. Mais papa s’est attaché à ce personnage.
Votre papa et René Goscinny étaient très amis. Voyez-vous la relation entre Astérix et Obélix comme un miroir de leur relation à eux ?
Quelque part, oui. L’amitié entre Astérix et Obélix est indestructible comme celle qu’entretenaient René et mon père. Leur alchimie était extraordinaire ! Que ce soit sur le plan privé et professionnel. Ils se respectaient l’un l’autre, pour leur génie respectifs.
Qu’avez-vous retiré de cette relation en grandissant ?
Ça aide, de voir une ambiance comme celle-là pour grandir… C’était presque une cellule familiale finalement. René faisait totalement partie de la famille, je l’appelais même Tonton René. Ils étaient adorables avec moi : ils ne me mettaient pas de côté. René me faisait des blagues – enfin il faisait des blagues à tout le monde. Il était toujours dans l’humour, continuellement, donc c’était génial pour grandir.
Votre oncle, Marcel, était aussi dessinateur. Pensez-vous qu’il y a quelque chose dans votre famille, chez vos Grands-Parents, vos arrières-Grands-Parents, qui a pu provoquer ce goût pour l’art ?
Je n’en sais rien. Il y a vraiment quelque chose de profondément artistique dans la famille Uderzo. Mes tantes dessinaient et peignaient à merveille. Je pense que les origines italiennes ont peut-être quelque chose à voir avec ça… Mon arrière-Grand-Père, lui, faisait des parquets. Il était tellement doué qu’il a réussi à monter sa propre entreprise. La société existe toujours. Ils font des parquets insensés ! Comme dans les palais vénitiens de l’époque.
Avez-vous, vous-même hérité de cette fibre artistique ?
Oui, je dessine et je peins. C’était ma volonté, pas celle de mon père. Je dessinais dans mon coin, et j’allais lui montrer ce que j’avais fait. Ce n’était pas en miroir de ce qu’il faisait. J’étais beaucoup plus réaliste, pas du tout BD. Aujourd’hui, je peins encore pour moi. J’aurais trop peur de montrer ce que je fais – en comparaison avec tout ce qu’a fait mon père !
Et vos enfants ont-ils aussi reçu ce don ?
Mon fils aîné a des facilités. Mais lui, c’est plus mécanique. Et le deuxième, il ne sait même pas colorier entre deux traits. Ça va sauter une génération j’espère, parce que, lui, c’est une catastrophe ! Mais il a d’autres talents, je vous rassure…
À l’occasion de cette exposition, vous avez écrit : “rendre un hommage à sa formidable carrière nous a paru être très vite une obligation, un besoin, une nécessité. Comme une potion magique.”
Oui, cette potion magique, si on avait pu l’avoir pendant toute cette pandémie, je pense que, dans le monde entier, on aurait bien pris une petite louche ! Avec ma mère, nous sommes tombées sur cette photo, où avec son air malin, papa pose avec une louche… C’est comme ça que le nom de l’exposition nous est venu. Il faut que cette expo donne un coup de fouet, un coup de joie, un coup de sourire, un coup d’humour, un coup de potion magique aux spectateurs.
Vous avez beaucoup de chance de pouvoir partager tout cela avec les lecteurs d’Astérix …
C’est une grande chance, même un privilège. Et puis, d’enfin rencontrer le public, ça me fait chaud au cœur. C’est une très belle histoire, c’est incroyable. J’ai beaucoup de chance de pouvoir parler de mon papa comme ça.
Quel est le message que vous adressez à votre père à travers cette exposition ?
J’ai envie de lui dire, si toutefois il peut m’entendre, ce dont je suis presque sûre, que j’avais raison … (rires). Car il y a quelques années, je lui avais proposé d’organiser une exposition de tout son travail. Il m’avait ri au nez, pensant que personne ne s’y intéresserait. Il m’avait même dit : “Mais ma fille, c’est parce que tu es ma fille que tu trouves que c’est intéressant. Moi, je suis sûr que ça ne va intéresser personne”. Aujourd’hui, je lève la tête et je lui dis “Tu vois, papa, non seulement les gens s’intéressent à ton travail, mais en plus ils sont heureux de mieux te découvrir !”.
Donc, je suis sûre qu’il est heureux.